Les communautés juives qui se sont propagées en Anatolie, Russie, Europe et Espagne lors des migrations très antérieures, ont subi des massacres durant des siècles et ont été forcées de changer de religion. Les Juifs qui vivaient sans être inquiétés sous l’administration islamique en Espagne, émigrent avec l’extension du christianisme. Les milliers de Juifs dépendants de Byzance, partent vers la Russie et la région de Kiev en raison des agressions qu’ils subissent. Mais grâce à la tolérance et l’ouverture de l’état seldjoukide (1077-1246) établi à Konya avant les Ottomans, les Juifs byzantins se dirigent vers ce nouvel état turc et apportent leur soutien au niveau économique. [1]
Plus tard, l’extension de l’état turco ottoman ouest anatolien en Europe centrale et Anatolie orientale modifie considérablement la vie des Juifs moyen-orientaux et européens. Libres et ne subissant plus ni pressions, ni massacres, ils trouvent leur place auprès des ottomans. Les Juifs de Bursa soutiennent Orkhân fils d’Osmân dans la conquête de la ville (1324). En réponse et pour redonner à la ville sa vitalité, Orkhân fait venir de Syrie et d’Edirne des Juifs spécialistes de la finance ainsi que des artisans. Il favorise la réouverture de la synagogue Etz ha-Hayim [2]. Les Juifs peuvent exercer toutes sortes de professions sous l’administration ottomane, ce qui n’était pas le cas sous l’administration byzantine. Ils obtiennent le droit d’acquérir des biens, en ville ou à la campagne. Bursa, peuplée d’abord de Juifs parlant le grec, voit arriver des Séfarades venus d’Espagne et du Portugal et des Ashkénazes ayant fui la France.
La communauté juive pauvre qui a aidé les Turcs lors de la conquête d’Edirne [3], s’y installe en prenant la place des communautés chrétiennes qui se sont retirées. Pour vivifier la vie économique la ville est ouverte aux Juifs de Bosnie-Herzégovine. De plus, des réfugiés ashkénazes de Pologne et de Russie obtiennent l’autorisation d’y venir. En ce qui concerne Istanbul, le sultan Mehmed II, conquérant de la ville, fait construire le palais de Topkapi puis, durant le reste de son sultanat (de 1451 à 1481), cent quatre-vingt-dix mosquées, vingt-quatre écoles, trente-deux hammams, douze centres de négoce et un marché (le grand bazar). Le système administratif du vieil Istanbul s’organise autour des écoles et mosquées principales. Il se compose de douze circonscriptions administratives (nahiye), elles-mêmes divisées en quartiers. Mais il faut redresser cette ville appauvrie par les croisades et dépouillée de ses chef-d’œuvres et de ses bibliothèques. Après la conquête, Istanbul ne compte que cinquante mille habitants. Pour faire revivre cette ville, on y fait venir des Turkmènes ainsi que des commerçants et artisans juifs venus de divers coins d’Anatolie. Par ailleurs, les chrétiens d’Edirne et Bursa qui avaient fui auparavant par crainte des militaires, sont invités à rejoindre leurs maisons et leurs négoces. Ainsi en 1478 la population de la ville atteint le nombre de cent vingt mille habitants. [4]
Les compétences économiques des Juifs nouveaux venus, largement supérieures à celles des chrétiens ottomans installés dans la ville, favorisent l’établissement de bases commerciales entre l’Europe et Istanbul. Dans l’empire, parmi les minorités non musulmanes, Mehmed II fait davantage confiance au « millet » [5] juif administré par ses propres chefs, qu’aux chrétiens soutenus par l’Europe ; il leur assure de tels avantages financiers et culturels que la communauté juive d’Istanbul évolue plus vite que les autres. Ainsi il accorde des réductions importantes d’impôts aux Juifs vivant à Galata, Balat, Hasköy et Bahçekapý et leur donne l’autorisation de construire de nouvelles synagogues. [6]
Cette politique du Sultan a des conséquences à deux niveaux : d’une part les peuples des terrains conquis, autrefois exploités et écrasés par les gouvernants d’Europe, bénéficient de liberté et de tolérance dans les domaines financiers, culturels et religieux, ce qui est un gage de soutien aux nouveaux conquérants. D’autre part, le fait que le rabbin ashkénaze Isaac Serfati parle positivement de la Turquie dans ses lettres à ses amis juifs opprimés en Allemagne et en Europe centrale , favorise une importante émigration des Juifs ashkénazes d’Europe centrale vers Vodnik, Plovdiv, Sofia, Salonique et Edirne.
Sous Bâyezîd II, les Juifs d’Espagne, suivant la trace de leurs ancêtres, émigrent vers l’empire ottoman. Voila ce que rapporte un Juif en exil :
« Le sultan Bâyezîd a suivi la voie de ses ancêtres : il a fait du bien aux enfants d’Abraham et ne les a pas renvoyés. Dans le cas contraire, rejetée d’Espagne, la mémoire d’Israël issue de Juda aurait disparu. Le sultan Bâyezîd, padischah turc, informé des sévices du roi d’Espagne à l’encontre des Juifs et constatant que ceux-ci cherchaient un refuge, a ordonné à ses subordonnés de les accueillir. » [7]
Lors d’une déclaration le sultan Bâyezîd dit à son entourage : « Vous dites que le roi d’Espagne Ferdinand est intelligent mais en expulsant les Juifs de son pays il l’a appauvri tandis qu’il a enrichi le nôtre. » [8] Puis, par décret, il ordonne que les fonctionnaires facilitent l’entrée des Juifs d’Espagne et que tout comportement répréhensible à l’égard des immigrés soit puni.
Les Juifs continuent à venir en Turquie après les conquêtes des autres sultans ottomans.
La condition des sujets non musulmans dans l’état ottoman
Sachant que les Ottomans préfèrent s’étendre vers l’ouest et guerroient contre les pays chrétiens d’Europe, il est normal qu’ils se sentent plus proches des Juifs comparativement aux autres minorités non musulmanes. La tolérance, l’esprit de liberté, l’administration organisée, expliquent pourquoi l’empire ottoman a protégé durant six cents ans sa structure pluri nationale. Si l’on excepte le milieu du 18ème et le 19ème siècle, période durant laquelle l’Europe, suite à la révolution industrielle, domine à tout point de vue, l’empire ottoman a toujours procuré un meilleur standard de vie.
L’empire ottoman pluri national appelle « millet » les communautés non musulmanes de son territoire. Ces communautés qui n’avaient pas obtenu ce statut officiel auprès d’autres religions, deviennent libres de pratiquer la leur. L’empire, bien que gouverné selon les lois de l’islam, assure aux « millets » chrétiens qui en font partie, une autonomie non seulement religieuse mais aussi administrative. Les chrétiens et les Juifs suivent leurs propres lois testamentaires, matrimoniales et éducatives. De plus leurs représentants perçoivent des impôts au bénéfice de leur communauté. [9] L’islam, en raison du système de l’Umma (Ümmet) ne fait pas de distinction si bien que les chrétiens ne subissent aucune attaque ni pression dans l’Empire, malgré la dominance de l’islam. En 1385 le patriarche orthodoxe dans une lettre écrite au pape parle de la totale liberté de l’église sous le sultanat de Murad. [10]
Mehmed le conquérant après avoir conquis Istanbul en 1453, fait libérer le prêtre George Scholarios enfermé dans les prisons byzantines et le persuade d’accepter le trône patriarcal, après avoir discuté avec lui des garanties en faveur de la communauté orthodoxe. George Scholarios était emprisonné en raison de son opposition à l’union des églises lors du concile de Florence.
Début 1954 George Scholarios, sous le nom de Gennadios, est nommé patriarche de tous les sujets orthodoxes de l’empire. Il détient les pouvoirs religieux, judiciaires et financiers. Les écoles dépendent de lui. Il est seul autorisé à la censure. [11]
Cependant les non musulmans n’ont pas accès aux hautes fonctions de l’état et ne faisant pas leur service militaire ils doivent payer un impôt en contrepartie. Mais le siècle suivant, cette situation tourne à l’avantage des populations chrétiennes : tandis que les musulmans font la guerre, les chrétiens s’investissent dans le commerce et s’enrichissent. Sous Mahmud II (1808-1839), l’égalité totale entre non musulmans et musulmans devient une préoccupation officielle de l’état. Elle n’entrera en vigueur que durant la période des Tanzîmât [12] (1839-1876) temps de réformes motivées par un désir de se tourner vers l’occident. Le 3 novembre 1839 le khatt-i Þerif (rescrit impérial) de Gülhane [13], lu devant les pachas ottomans et les diplomates étrangers, garantit la vie, la liberté et le patrimoine de tous les sujets ottomans. En 1856 le khatt-i Hümâyûn confirme fermement ces acquis. Dorénavant tous ont les mêmes droits au niveau administratif, scolaire, fiscal ou militaire. [14] En décembre 1876 la première constitution ottomane est adoptée ; les fonctions du padischah y sont énumérées. Tous les sujets quelles que soient leur croyance et leur religion sont considérés comme « Ottomans ». Le lycée de Galatasaray, fondé sous l’ordre du sultan en 1867, accueille à la fois des élèves chrétiens et musulmans.
Mustafâ Rechîd Pacha, Mehmed Emîn Alî Pacha, Mehmed fû’âd Pacha et Midhat Pacha, les quatre hommes d’état instigateurs des réformes, préconisent que l’union ottomane se fasse en dehors des affaires religieuses. [15] Mais les sentiments nationalistes accrus suite à la révolution française et les aspirations des grands états impérialistes occidentaux concernant les minorités ottomanes, sont un obstacle à cette idée d’union.
La hiérarchie religieuse chrétienne n’approuve pas l’égalité. Ceci est surtout vrai pour la hiérarchie orthodoxe grecque. Quand le khatt-i Hümâyûn est lu puis inséré dans son étui de satin le patriarche orthodoxe déclare : « J’espère qu’il ne sortira plus de cet étui ». Les dignitaires chrétiens et les leaders nationalistes, sont eux aussi très perturbés par cette idée d’égalité. [16]
Les hommes de science s’accordent pour dire que cette tolérance ottomane a deux origines. D’une part, les Turcs en tant que musulmans acceptent les religions qui détiennent un livre, et considèrent que les chrétiens et les Juifs appartiennent à la même religion ; ils peuvent dire aux chrétiens : « Ta croyance est fondée et ma croyance aussi est fondée ». [17] D’autre part, le peuple anatolien est un véritable mélange pluri national et cela joue aussi un rôle important. Mais à partir du 16ème siècle de nombreux actes d’intolérance se manifestent dans l’empire : les Juifs subissent des attaques religieuses menées par les chrétiens qui ne supportent pas leur évolution économique. Ainsi à Amasya en 1530, après qu’un moine affirme que le sang d’un jeune arménien a été versé pour être utilisé lors de la pâque juive, les populations arméniennes, durant des manifestations qui ont duré des jours, attaquent les quartiers juifs et font des massacres. [18] Des actions similaires contre les Juifs sont perpétrées par les grecs. Seul un firman du Sultan arrive à interrompre ces exactions. Dans les années 1840 les Juifs qui vont à Rhodes pour acheter des éponges subissent à nouveau des fausses accusations ; le sultan Abdül-Medjîd ordonne par firman que ces calomnies ne soient pas crues ; de tels propos, réitérés par des Roums [19] de Kuzguncuk à Istanbul obligent ensuite le Sultan ’Abdül-’Azîz à republier le même firman. [20]
Situation socio-économique des Juifs dans l’empire
Les Juifs ont introduit dans l’Empire leurs richesses et leurs sciences, aussi sont-ils estimés et très recherchés par les dirigeants ottomans en tant que médecins, financiers, artistes et conseillers politique ou diplomatiques.
Au début de l’empire, parmi les médecins connus du palais, on peut citer Ishâk Pacha médecin principal de Murad II, le vénitien Ya’kûb Efendi médecin de Mehmed le Conquérant et la famille Amon, une des familles influentes de l’Istanbul du 16ème siècle. Ainsi, Moshe Amon devient le médecin du sultan Soliman le Magnifique. Son fils Joseph Hamon, gagne une place importante auprès de Selim II et est exempté de tout impôt pour services rendus au sultan et à sa famille. D’autres Juifs venus des écoles de médecine espagnoles et portugaises diffusent les dernières découvertes médicales dans l’empire si bien qu’à la fin du 16ème les Ottomans dépassent le niveau européen en anatomie et en chirurgie. Une partie des commerçants juifs d’Espagne et du Portugal apportent à leurs capitaux dans l’empire. Les Marranes, qui sont dans une dynamique de niveau européen, développent l’activité bancaire ottomane, font accroître les apports en capitaux et assurent l’évolution du commerce. En peu de temps ils deviennent des spécialistes du système économique et financier ottoman. Parmi ces banquiers se trouve Don joseph qui, par son soutien financier, permet au sultan Selim II d’asseoir son pouvoir. Ce dernier le nomme duc de Naxos et le déclare seul responsable sur l’île des ventes de vin et cire d’abeille ainsi que du prélèvement des impôts. Plus tard Don Joseph devient le représentant en Europe du sultan Selim et l’aide à développer les relations entre l’Empire et la Pologne. Il joue aussi le rôle d’intermédiaire entre le sultan et Charles IX (roi français). L’ashkénaze Salomon ben Nathan, lui, est conseiller de Selim II et de son successeur Murad III. En 1574 il organise l’accord de paix vénitien ottoman et reste de longues années ambassadeur ottoman à Venise. Dans les grandes villes ottomanes, les artistes juifs peuvent exercer tous leurs talents sans interdits religieux ou autres. Ils travaillent notamment dans l’orfèvrerie, la cordonnerie, la ferronnerie, l’architecture, la fabrication de voiture, de roues, de voiles. Grâce aux efforts des Juifs venus de Tolède et Ségovie, Salonique devient le centre de tissage de l’orient. En plus de l’art vestimentaire ils développent la production de soie et la fabrication de kilims. Sous la direction des Juifs, le commerce extérieur ottoman s’étend considérablement après le 16ème siècle. L’empire ottoman étalé sur trois continents constitue un espace essentiel pour le commerce. Les Juifs, grâce à leurs connaissances des langues et des système bancaires européens ainsi qu’à leurs contacts avec leurs « frères », sont présents dans les pôles commerciaux européens et peuvent savoir aisément quel produit vendre et vers où. Ainsi sans prendre trop de risques ils peuvent travailler dans l’import export.
En tant que sujets ottomans ils réussissent à vendre les produits ottomans, depuis le Danube jusqu’en Hongrie, Autriche, Pologne, France, Angleterre et même Espagne d’où ils ont été bannis. Suite aux décisions de tenir les Juifs en dehors du commerce international après que les produits ottomans pénètrent Venise et l’Italie, les sultans ottomans mettent en place un boycott des côtes italiennes. Doués aussi pour le commerce intérieur, les Juifs créent les systèmes bancaires en Macédoine, Thrace, Anatolie et dans les provinces arabes et introduisent dans les plus petits centres d’implantation, le sucre, le café, les vêtements et tous les biens produits dans le monde de cette époque.
Les Juifs deviennent propriétaires terriens dans l’empire ottoman tandis que les lois l’interdisaient dans les pays où ils avaient immigrés. Les propriétaires juifs d’un « timâr » [21] progressent en jardinage et viticulture. Louant des terres à des propriétaires fonciers musulmans ils cultivent aussi des céréales.
Dans la vie politique et sociale les Juifs se trouvent totalement liés à l’empire ottoman. Vers la fin du 16ème leur vie culturelle brillante commence à stagner conjointement à la régression de l’empire ottoman. Cette dernière a différentes origines. En effet, selon certains auteurs, le succès de l’empire ottoman vient du système politique et de l’organisation administrative, ainsi que du système du « devchirme » [22] introduit dans l’administration à la fois civile et militaire. Or Soliman, vers le milieu de son sultanat, retire aux responsables ottomans la gestion du devchirme et renvoie en Anatolie l’élite turque. L’administration alors se dégrade ; c’est le temps des pots de vin, des comportements malhonnêtes motivés par l’appât du gain, des intrigues de palais dont l’objet est de remplacer les puissants dirigeants du groupe devchirme par des administrateurs de faible envergure. [23] Certains auteurs lient aussi cette régression aux difficultés économiques intérieures et extérieures de l’empire ottoman. Selon eux l’évolution manifeste hors de l’Empire en est l’une des raisons majeures. L’existence de voies maritimes vers l’Inde réduit la valeur du commerce oriental passant par les terres ottomanes si bien que les revenus chutent. En Europe le niveau de vie s’améliore grâce aux colonies tandis que les Ottomans ne manifestent pas d’intérêt pour ce monde naissant. Les occidentaux, passés à la structure d’état nation, profitent des capitulations données pour la première fois en 1535 pour orienter le commerce mondial à nouveau vers l’empire ottoman et commencent à se mêler de ses affaires intérieures. L’Europe en voie d’industrialisation, passée à la production de masse, se voit obligée de chercher des colonies, des sources de matières premières et des marchés pour écouler ses produits. [24] Voyant l’empire ottoman comme leur plus proche marché, les Européens y cherchent des alliés. Ce sont naturellement les populations chrétiennes de l’empire qui le deviennent. Les Européens antisémites écartent peu à peu les Juifs du commerce européen.
L’évolution se fait à contre courant. Le désordre règne dans l’empire qui, d’un système d’administration centrale, régresse vers une structure féodale. Des bandes composées de dönme [25] et de chrétiens, considérés comme des pilleurs et des brigands, immobilisent la vie commerciale. Les œuvres antiques d’Anatolie sont pillées et vendues aux musées européens. Les routes ne cessent de se détériorer. Les Ottomans, aptes à agir face à la déflation, sont perturbés devant l’inflation et ne font que baisser la valeur des pièces d’or et d’argent. Suite au grand incendie d’Istanbul du 20 mai 1606 la plupart des Juifs, apprenant que le marché des chaudronniers juifs de Bahçekapý a brûlé, émigrent vers Hasköy. Après l’incendie du grand bazar en 1618 la plupart des Juifs demeurant dans ce quartier partent vers Ortaköy sur les bords du Bosphore. Ortaköy deviendra plus tard un important centre juif et une synagogue y sera construite. Quand à l’incendie de Galata, il entraîne l’émigration des Juifs vers Kadiköy et Üsküdar, sur la rive opposée du Bosphore. Les Stambouliotes vivent des jours très difficile avec les vingt six grands incendies qui ravagent la ville entre 1608 et 1698.
A Izmir, le commerce juif recule. Ce sont davantage les Roums qui tiennent en main le commerce avec le soutien des Européens. Les dirigeants chrétiens, renforçant leur position en Ukraine et Hongrie, ferment ces marchés fructueux aux commerçants de l’empire. La présence des Juifs ottomans dans le commerce international recule. Les administrateurs du devchirme, les diplomates européens et les commerçants s’unissent pour éloigner les Juifs haut placés au palais et mettre à leur place des Roums et des Arméniens, la plupart du temps en disant aux sultans qu’ils ne travailleraient pas avec des fonctionnaires et des traducteurs juifs.
Les défaites de l’Empire laissent la voie ouverte à des pressions importantes sur les Juifs ottomans. D’abord avec l’occupation en 1683 de la Hongrie par l’Autriche puis suite à chacune des défaites, chaque fois qu’une terre ottomane passe aux mains des armées européennes, les Européens aidés des chrétiens locaux attaquent les populations juives et musulmanes et saisissent leurs biens. Quand aux chrétiens de l’Empire, plus particulièrement les Arméniens, les Bulgares et les Roums, ils suivent le même chemin et attaquent les Juifs pour des questions religieuses.
Durant cette période anarchique les directions des communautés s’unissent. Par exemple Joseph Escapa le grand rabbin d’Izmir, voyant s’accroître le nombre d’émigrés juifs de Salonique, crée une direction unifiée. Cette organisation demeurera identique du 17ème au 20ème. Elle comporte deux assemblées : l’assemblée religieuse (Bet Din) composée de 5 rabbins sous la présidence du grand rabbin, chargée de l’éducation religieuse et une autre assemblée, de 12 membres puis de 7 ensuite, responsable des affaires financières. Au 17ème les Juifs d’Izmir, souhaitant protéger leurs richesses, restent dans le quartier de Mezarlýkbaþý et dans la rue Havra, les centres commerciaux. Les Arméniens, eux, sont installés dans le quartier de Basmahane ; quant aux Turcs, dans ceux de Namazgâh, Keçeciler, Baþturak et Ikiçeþmelik. Leurs quartiers étant très peuplés, les riches familles juives s’installent par la suite à Alsancak et Karataþ où se trouve le cimetière israélite. Malgré les difficultés de l’empire, la culture juive se développe à Izmir. Grâce au grand rabbin Haim Beneviste de nombreuses écoles et lieux de culte sont construits.
Pour la première fois, une imprimerie hébraïque est fondée en 1658 par Abraham Ben Gabay ; un livre d’Escapa appelé Rosh Joseph est imprimé. En raison des difficultés et de la situation anarchique, les relations des Juifs ottomans avec l’extérieur sont coupées. Eux aussi, comme les Ottomans, ne peuvent suivre l’Europe qui va entrer dans le siècle des Lumières. La communauté juive ottomane a davantage dépensé son énergie pour les questions religieuses. Le Zohar des kabbalistes a pris la place du Talmud.
La judaïcité ottomane s’est réveillée avec les mouvements réformistes ottomans. Mahmud II supprime en 1826 le corps des janissaires, composé de dönme chrétiens, et donne à nouveau une place au millet juif dans l’état ottoman. Lorsque le grand rabbin Abraham ha-Levi assume des fonctions au niveau de l’état grâce au sultan Mahmud, les Juifs d’Istanbul, en fête, défilent dans les rues de la ville en faveur du sultan. Ils attendent que le grand rabbin endosse cette fois des rôles plus importants. Déjà, en tant que fonctionnaire ottoman il est chargé de la collecte au nom de l’état des impôts de sa communauté. Il a le pouvoir de mettre en prison celui qui ne paye pas son impôt. Représentant de sa communauté auprès du gouvernement, il transmet les problèmes et souhaits de même qu’il s’assure que les lois et ordres du sultan sont bien reçus. Leader de la communauté juive, il est responsable de l’ouverture des écoles, orphelinats, hôpitaux. C’est lui qui nomme les administrateurs dépendants de la direction de la synagogue. Il dirige aussi le système judiciaire juif. Il a le pouvoir d’appliquer des peines lourdes et d’expulser de la communauté ceux qui violent les lois. Les dirigeants ottomans, avec les berât [26] augmentent les pouvoirs du grand rabbin d’Istanbul et lui assurent la dépendance des autres rabbins qui ne peuvent être renvoyés qu’après son approbation. Il peut même faire jeter en prison par les forces de police les rabbins agissant contre ses ordres.
Comme cela a été évoqué précédemment, entre 1838 et 1856 le Hatt-i Hümayun décrète l’égalité de tous les sujets ottomans de l’empire. Il s’assure la confiance du peuple ottoman appelé désormais « Raya ». L’impôt principal demandé auparavant aux non musulmans est transformé en 1855 en impôt de contrepartie militaire demandé à tous ceux qui ne veulent pas faire leur service. En 1910 le grand rabbin Haim Nahum Efendi, voulant montrer l’attachement du millet juif à la patrie, fait pression et obtient la suppression de cet impôt. Ainsi, malgré l’opposition du patriarche chrétien, les populations non musulmanes sont appelées au service militaire. [27]
La communauté juive, profitant moins des progrès que les communautés chrétiennes, reste indifférente à la modernisation ottomane. Seuls les Juifs égyptiens soutiennent les réformes car ils savent l’importance de toutes ces transformations, ayant vécu les changements prônés auparavant par le Vâlî [28] ottoman Mehmed ’Alî Pacha. Le grand rabbin d’Istanbul lui ne les soutient pas, craignant que le pouvoir juridictionnel qui lui est conféré soit remis en question. Les différences, d’ordre éducatives par exemple, doivent être supprimées du fait de l’égalité entre tous les sujets. Les chrétiens qui, grâce aux capitulations, sont jugés par leurs propres tribunaux religieux ne sont pas tellement contents de passer sous la juridiction laïque au même titre que les Ottomans musulmans. Ne voulant pas que leurs enfants soient envoyés dans les nouvelles écoles laïques, la plupart des communautés non musulmanes restent liées à leurs propres dignitaires religieux. Ainsi, tandis que les Arméniens et les Roums intègrent l’école de médecine militaire, les Juifs de l’empire, jusqu’au 20ème siècle, restent en retard dans le domaine médical par rapport aux autres communautés. Cependant en 1939, malgré cette situation, le sultan émet un firman donnant la permission aux communautés juives et karaïtes de construire un hôpital à Karabaþ au pied de Balat. Un autre hôpital est construit à Izmir par un riche homme d’affaire juif, Nesim Lévi Bayraklý. L’hôpital d’Istanbul est ouvert en 1897 sur des terres données par le sultan. Lord Rothschild, grâce à l’intervention d’un fonctionnaire du nom d’Albert Cohn, obtient du sultan en 1854 la permission d’ouvrir une école non confessionnelle. Mais le projet ne peut s’élaborer qu’après la guerre de Crimée. L’enseignement démarre en 1860 après la nomination des rabbins. L’Alliance Israélite Universelle créée en 1860 par la communauté juive d’Europe, soutient cette orientation en fondant des écoles de Edirne jusqu’à Haïfa et Basra. En 1906 grâce au professeur Boris Shatz une école d’art s’ouvre à Jérusalem. En 1907, à nouveau à Jérusalem, s’élabore le projet d’une université hébraïque suite à l’achat d’un terrain au mont Scopus. Les écoles des minorités, tout en étant liées au Ministère de l’Education ottoman, restent libres d’utiliser leur propre système éducatif. Des éducateurs et professeurs ottomans, payés par l’état, sont nommés dans ces écoles. Ces améliorationsaboutissent audémantèlement de la résistancedesmilieux juifs conservateurs et les étudiants juifs remplissent les écoles techniques ottomanes, les écoles de médecine et l’université d’Istanbul. Les médecins juifs regagnent dans l’empire leur réputation antérieure et s’intègrent dans les écoles de l’empire au milieu des enseignants musulmans et chrétiens.
A l’époque de Veziriazam Ali et Fu’Âd Pacha le comité juif crée un conseil qui permet de consulter le sultan et facilite ainsi l’application des réformes. Yakir Geron, rabbin d’Edirne plus attiré par la modernisation, est nommé auprès du Kâymakâm [29] d’Istanbul. Avec le soutien de Geron la communauté juive ottomane s’organise à nouveau en 1865. Le rabbin Geron, grâce à ses tentatives réussies de modernisation, se voit offrir un don de soixante quinze mille Kurus et assurer un revenu mensuel de cinq mille kurus. De plus il est décoré de la médaille d’honneur de l’ordre du Medjidieh. La nouvelle organisation se compose dorénavant de quatre assemblées : l’assemblée générale, l’assemblée séculière, l’assemblée religieuse et le grand rabbinat dont le centre est transféré de Cibali à Beyoðlu en 1876. Il est encore là de nos jours. Le grand rabbin est accepté en tant que responsable administratif du millet juif dans tout l’empire. Il est aussi le chef spirituel des Juifs d’Istanbul. La judaïcité ottomane suite aux dernières réformes est regroupée autour de neuf régions rabbiniques : Istanbul, Bursa, Bagdad, Edirne, Izmit, Salonique, Le Caire, Alexandrie et Jérusalem. Toutes détiennent les mêmes pouvoirs que celle d’Istanbul. Vers la fin du 19ème, de nouveaux rabbinats sont constitués à Sofia, Sarajevo, Mossoul, Tripoli, Beyrouth et Alep.
Au milieu du 19ème la société juive ottomane s’est divisée en deux sous l’influence de l’Europe : les traditionnels et les modernistes. De plus en 1865, suite à un malentendu naissant d’un litige financier concernant un enterrement, un groupe sous la direction de Daniel Fernandez et Emmanuel Pinhas Veneziani, composé surtout d’Italiens et d’Autrichiens, se sépare du Front Juif et forme la « Communauté des Etrangers » qui deviendra par la suite la « Communauté des Juifs Italiens ». [30] Alors qu’auparavant ils s’étaient bien adapté à la culture séfarade, les Ashkénazes que les pogroms en Allemagne et en Russie ont fait fuir vers l’empire ottoman aux alentours de 1850, se séparent du grand rabbin et se rassemblent sous une direction différente. Les Juifs ashkénazes ottomans préfèrent parler le yiddish. Les Ashkénazes ont trois lieux de culte : les synagogues « Budin » [31] et « Alman » (allemande) à Balat et la synagogue « Terziler » (les tailleurs) à Yüksek Kaldýrým [32]. Des différences apparaissent entre les Ashkénazes. D’abord de culture, entre les Juifs autrichiens et allemands qui ont reçu une éducation et les émigrés russes, pauvres. Mais elles ne se limitent pas à cela. Les traditions religieuses et les coutumes de la communauté karaïte qui ne reconnaît pas l’autorité du grand rabbin, sont très différentes. Les Karaïtes vivent dans les quartiers pauvres de Galata, Hasköy et Kaðýthane. Ils privilégient les tribunaux musulmans pour résoudre leurs problèmes juridiques et acceptent le droit musulman. Ce n’est qu’en dernier lieu qu’ils font appel au rabbinat. La nouvelle évolution des Juifs ottomans dérange les chrétiens de l’empire. Les capitalistes juifs soutiennent l’empire dont la situation économique se détériore après la guerre de Crimée. Sous ‘Abdül-Hamîd (1876-1909), sortant de la stagnation des 17ème et 18ème siècles, ils prennent une place importante dans la vie culturelle et économique ottomane et obtiennent des positions importantes à la faculté de médecine d’Istanbul. [33] Les chrétiens ressentent à nouveau les Juifs comme des concurrents. Les commerçants Roums et Arméniens, soutenus par les milieux européens, cherchent à empêcher ce nouvel avancement des Juifs. A son époque, Selim III tente d’interrompre l’évolution des chrétiens qui bénéficient alors des capitulations ; celles-ci les libèrent des lois ottomanes et leur permettent de travailler de façon indépendante dans les ambassades et sociétés étrangères. Mais en raison de la forte pression des missions étrangères Selim III laisse les chrétiens libres d’obtenir leurs berât moyennant échange. Quant à Mahmud II, devant la situation, il encourage les sujets musulmans à faire du commerce. Mais la résistance des Européens et la culture musulmane sont des entraves. Les chrétiens n’admettent pas l’idée d’égalité pour tous les sujets non musulmans de l’empire ; ils préfèrent la protection étrangère ou passer sous l’assujettissement étranger. Ainsi ils pensent qu’ils pouvoir mettre en échec les sujets musulmans et juifs. Cependant les Juifs ottomans se débrouillent grâce au capital des Juifs européens. Du temps de Þefatni Zvi (1676) les Juifs dönme (devenus musulmans) de Salonique participent à cette évolution.
Par ailleurs la presse juive se développe. Deux tiers des journaux juifs édités, le sont dans des villes comme Salonique, Istanbul, Sofia et Izmir. Le reste parait en Egypte, Palestine et Roumanie. Le premier journal juif important sort à Istanbul sous le nom de Journal Juif (1841-1860). Paraît ensuite un journal en espagnol, La Luz de Israel (La Lumière d’Israël). Ce journal laisse une large place à la guerre de Crimée. Puis El Manadero (La Source) qui est publié sous l’influence de missionnaires écossais. El Jurnal Israelit (1860-1871) de Ezekial Gabay , d’abord hebdomadaire, est par la suite édité trois fois par semaine. El Nacional (1871-1890) sort grâce à Moïse Dalmedico. Selon certains auteurs, la première édition juive sur le territoire ottoman paraît sous le nom de La Buena Esperanza (La Bonne Espérance) en 1842 à Izmir. Elle est réalisée par Rafael Uziel Pinserle. [34]
En 1871 le journal El Tyempo fondé par Isak H.Karmona est édité par David Fresko jusqu’en 1930. Le journal El Telgraf devenu ensuite El Nasyonal paraît en 1872 grâce à Marko Mayorkas. Les éditeurs de La Patria (1908-1909) sont David Elnekave et Viktor Lévi. Ce dernier publie La Boz entre 1908 et 1910. En plus de ces journaux en français et en turc, sortent des revues appelées El Sol, El Rayo, El Amigo de la Famia, El Instruktor, El Cudio (1909-1922), Ha menora (1923-1938), La Boz de Türkiye (1939-1949). [35]
Parallèlement à cette vie brillante, les Turcs et Juifs des territoires perdus par les Ottomans, subissent les attaques des chrétiens alliés des pays étrangers. Par ailleurs, dans l’empire, à partir des années 1870 les militants Roums et Arméniens attaquent les Juifs pour des questions religieuses, surtout dans les territoires arabes. Aidés, dit-on, par les consulats européens locaux. Certains propos diffusés parmi les chrétiens ou bien des articles intentionnels parus dans les journaux sont à l’origine de ces exactions. Quant aux massacres des musulmans restant en Europe de l’est et dans les Balkans, les musulmans les font endosser par les Juifs. Les Roums et les Arméniens ne veulent pas que des synagogues juives soient construites dans l’empire. En 1899 les Roums tentent d’empêcher la construction d’une synagogue à Haydarpaþa (Istanbul). Cependant le sultan ‘Abdül-Hamid envoie des militaires de la caserne de Selimiye et fait ouvrir la synagogue malgré tout. La Macédoine devient un enfer à la fois pour les Turcs et pour les Juifs en raison des bandes serbes et roums bulgares organisées par les Occidentaux. Les Juifs fuyant les massacres en Europe du sud-est, se réfugient à Salonique. La population juive de Salonique qui s’élevait à vingt-huit mille en 1876 passe à quatre-vingts dix mille en 1908. Ce nombre représente plus de la moitié de la population de la ville. Plus tard suite aux attaques des Roums locaux, les Juifs sont dans l’obligation d’émigrer à Izmir. Malgré les pressions des Juifs européens et les firmans de l’empire, ces attaques se poursuivent jusqu’à la veille de la première guerre mondiale. Les Juifs ainsi que les populations musulmanes ont tout particulièrement souffert durant les guerres balkaniques (1912-1913). Les Juifs qui partent sont remplacés par les Roums venus de l’empire ottoman. Après la guerre, les Juifs qui ont fui n’ayant pas obtenu l’autorisation de revenir, la plupart émigrent en Amérique. [36] Malgré les dires, les Juifs ottomans continuent à se développer à l’époque du sultan ‘Abdül-Hamid. Moshé Lévi, le grand rabbin Kâymakâm, détient toujours le privilège de rencontrer le sultan directement. Les Juifs étrangers et ottomans, non seulement donnent des cours à la faculté de lettres, de médecine et de droit de l’université d’Istanbul, mais aussi dans les écoles militaires et les écoles d’ingénieur de l’empire. La plupart des devoirs consulaires dans les pays de la méditerranée sont accomplis par des Juifs ottomans. Ceux qui se sont enrichis quittent les quartiers pauvres d’Istanbul pour s’installer à Beyoðlu, Moda ou Kadiköy. En 1893 dans un écrit de l’Alliance Juive Universelle voilà ce qui est dit en résumé :
« En dehors de la Turquie il y a très peu de pays où les Juifs ont pu mené une vie éclairée et civilisée. Le sultan et La Sublime Porte se sont comportés avec bienveillance et libéralisme à l’égard des Juifs. En tous les cas ‘Abdül-Hamid a protégé les sujets juifs et s’est comporté de façon généreuse à leur égard. »
A cette époque, la judaïcité européenne tente à nouveau d’obtenir de l’empire l’autorisation pour les Juifs de s’installer en Palestine. C’est une question sensible pour les Ottomans. Ils acceptent que les Juifs s’installent partout en dehors de cette région car ils craignent qu’un nouveau problème ethnique naisse dans l’empire. Le Sultan ‘Abdül-Hamid ne donne aucune signe d’agrément quand il reçoit Théodore Herzl le fondateur du sionisme. [37] Ce dernier est très contrarié par le fait que le grand rabbin Kâymakâm Moshé Lévi ait accepté que les Juifs, pour se libérer des pogromes russes, s’installent en Anatolie orientale. Il est alors aussi question d’une aide pour résoudre les problèmes financiers de l’empire. ‘Abdül-Hamid dit à Herzl que les Juifs constituent le groupe le plus digne de confiance parmi les sujets non musulmans de l’empire ottoman. [38] Le grand rabbin de son côté craint que la création d’un état juif mette en danger sa propre puissance. En vérité, le fait que la question du sionisme, mouvement nationaliste juif, tourne autour de l’installation à Jérusalem, aboutit, après les années 1877, à la venue d’immigrés ashkénazes d’Europe plutôt que des Séfarades, les Ashkénazes restant sous l’influence des mouvements et idées nationalistes se développant en Europe. Les musulmans arabes palestiniens et les chrétiens veulent que cette immigration s’arrête et font pression sur le sultan. La Russie aussi fait pression sur ‘Abdül-Hamid. L’augmentation des Juifs à Jérusalem et en Palestine ne convient pas aux Russes qui protégent les orthodoxes depuis la guerre de Crimée. Quant à la France et à l’Angleterre, elles craignent la diminution de leur propre influence comparée à celle des Russes et des Allemands car un grand nombre de Juifs émigrants de Russie et d’Allemagne s’installent dans cette région. ‘Abdül-Hamid, dans ce contexte, avant 1892, émet des décrets réduisant l’émigration juive en Palestine puis, à partir de 1892, un décret limitant le droit d’y être propriétaire terrien. Mais la réalité est toute autre. Les dirigeants locaux, en échange d’argent, continuent à accepter les immigrés et leur vende même des terres. Ainsi jusqu’en 1904, trente mille nouveaux immigrés se sont installés. Parmi eux se trouvent quelques milliers de travailleurs socialistes juifs dirigés par Ben Gourion. Grâce à lui, initiateur du mouvement des travailleurs israéliens, des Kibboutz et Mochav sont constitués dans la région. Les Juifs qui immigrent s’installent surtout dans les régions d’Haïfa et Tel-Aviv.
Les Juifs pendant la première guerre mondiale et la guerre de libération
Les Juifs ont de bonnes relations avec le gouvernement Union et Progrès qui vient au pouvoir en détrônant ‘Abdül-Hamid en 1908. Kara Efendi (Carassin) à Salonique avait soutenu et accordé l’asile aux leaders d’Union et Progrès. Les réformes entreprises par les Unionistes obtiennent la faveur des Juifs ottomans. Les Unionistes, au-delà des réformes laïques, cherchent à former une bourgeoisie turque et à supprimer les capitulations. Leur suppression confère un nouvel avantage aux Juifs face aux commerçants Roums et Arméniens qui sont associés aux commerçants européens. La communauté juive ottomane dirigée par le grand rabbin Haim Nahum soutient totalement les efforts de guerre des ottomans. Les chrétiens ottomans, soi-disant neutres, soutiennent en réalité les forces occidentales. De ce fait, ils sont conduits vers d’autres territoires de l’empire si bien que les Juifs restés fidèles demeurent pour la première fois sans concurrence. Durant la guerre c’est le quartier juif de Balat à Istanbul qui assure la production ; il conservera jusqu’aux années 1930 la richesse engendrée par cette situation. Les Juifs rendent service à l’armée ottomane durant la première guerre mondiale comme ils l’ont fait durant les guerres balkaniques. Les banquiers juifs assurent à l’empire les moyens financiers pour faire face aux dépenses de guerre à l’extérieur et à l’intérieur de l’Europe. Quant aux agriculteurs juifs, ils prennent en charge la fourniture du matériel, des aliments et des vêtements nécessaires à l’armée. Si la nourriture vient parfois à manquer, ce sont les associations caritatives juives qui aident les familles des militaires ottomans.
Si Zimmermann, ministre des affaires étrangères allemand, d’origine juive, programme, avec l’influence du lobby sioniste de Berlin, de fonder en Palestine un état juif lié à l’empire allemand, Haim Nahum et les Juifs ottomans s’y opposent. Quant aux anglais, selon l’avis de Vladimir Jabotière, ils prévoient de créer un régiment juif qui combattrait à Gelinotte puis en Palestine. Un court temps, en mars 1915, les anglais utilisent à Galipoli [39] une division de cavalerie contre les Turcs. Conformément à la politique des anglais qui consistait à utiliser les minorités, les Juifs anglais font partie de la première troupe juive durant l’attaque de la Palestine menée par le général Allenby en 1917. Le plan anglais est un succès et Lord Balfour avec sa célèbre déclaration, permet l’émigration des Juifs en Palestine. Suite à ces évènements le commandant ottoman Cemal Pacha tente de faire partir certaines populations juives des régions occupées par les anglais. Ceci est mal vécu par les Juifs. Bien que le département propagande des renseignements anglais tente d’utiliser cet évènement contre les Ottomans, d’autres membres de ces services déclarent ouvertement que Cemal pacha ne s’est pas mal comporté à l’égard des populations locales. A l’inverse de ce qui est diffusé par les occidentaux, ce n’est pas un groupe ni une communauté mais le peuple ottoman tout entier qui est victime des souffrances liées à la guerre.
Lors de la guerre de libération turque, la situation des Juifs d’Istanbul empire car les occupants protégent leurs propres intérêts économiques et les minorités chrétiennes. Les Alliés suppriment les lois laïques promulguées par Union et Progrès et restituent l’ancien système dans les domaines de l’éducation et de la justice. Les conservateurs, musulmans ou non, dominent la scène. Les biens juifs et musulmans sont distribués aux chrétiens. Ceux qui soutiennent les Juifs communistes venus de Russie ainsi que le mouvement Jeunes Turcs et les actes de guerre ottomans, sont emprisonnés. Les occupants se voilent les yeux sur l’émigration des Juifs russes et sur les pogroms du général russe blanc Denikine, car c’est leur allié. En mai 1919 l’armée grecque occupe Izmir et ses environs et massacre des milliers de Turcs et de Juifs. En 1922, la même armée, reculantdevant l’armée turque, brûleles villages aux alentours d’Izmir et d eBursa. Le rabbin de Tire, Ismail ha-Kohen, aide les résistants turcs locaux et entre en relation avec les forces nationales turques des environs. A Ödemiþ, le rabbin Isak Franco refuse des’unir aux forces grecques d’occupation. [40] Les occupants Grecs d’Izmir tentent d’obtenir l’acquiescement des communautés locales. Lorsqu’ils demandent à Boas Effendi l’un des juges de l’île de Rhodes à qui Izmir doit revenir, il leur répond : « Les Juifs ont toujours bien vécu avec les Turcs ; Izmir doit être laissé aux Turcs. » [41] Auparavant en 1918, quand Baþvezir Izzet Pacha annonce le cesser le feu, le grand rabbin Haim Nahum est envoyé en Europe en tant que représentant de l’empire ottoman. Grâce à lui peuvent se dérouler des pré rencontres en vue d’une paix honorable. Haim Nahum soutient jusqu’à la fin la révolution anatolienne commencée par Mustafa Kemal. Il parle en faveur des Turcs devant la commission américaine King Crane chargée d’analyser le moyen-orient. Mais suite à la pression des sionistes et des occidentaux il quitte le pays le 21 avril 1920. Quant aux Juifs d’Istanbul, espérant avoir une place dans le dernier parlement ottoman de 1919, ils créent le « front électoral des Juifs ottomans ». Mison Ventura Efendi est choisi comme candidat. Dans l’Istanbul occupé, des Juifs comme Behor Haim Becenaro grand rabbin d’Edirne (qui deviendra plus tard grand rabbin de la République turque), ou l’historien Evran Galante, refusent les pressions des alliés sur le gouvernement d’Istanbul et ouvrent, en signe de première protestation turque, le cimetière juif d’Izmir. Une grande partie aussi fuit vers l’Anatolie rejoindre l’armée de libération turque. Haim Nahum fait office de conseiller auprès des turcs lors de la conférence de paix de Lausanne. La délégation de presse turque présente à Lausanne publie une brochure sur les minorités de Turquie où sont évoqués le comportement exemplaire et la fidélité des Juifs turcs. [42] Le deux février, Mustafa Kemal, une fois rentré dans Izmir avec l’armée turque, fait une allocution. Quand un jeune lycéen du nom de Rafael Ambato lui demande ce qu’il pense des Juifs, le Ghazi [43] répond : « …Les Juifs en prouvant leur fidélité à ce pays et ce peuple ont mené jusqu’à ce jour une vie en bonne intelligence, ils vivront dans l’avenir dans la prospérité et la joie ». [44]
Les Juifs dans la République Turque
Durant des siècles les Juifs se sont sentis chez eux dans les territoires turcs. N’ayant pas de relations à l’extérieur avec d’autres états, ils ont accepté favorablement toutes les réformes faites et les ont soutenues. Pendant la République turque leur premier geste, concernant l’article 42 des accords de Lausanne, est de refuser que les différends entre les minorités, comme la question des capitulations par exemple, soient résolues selon les us et coutumes de chacun. Le grand rabbin Haim Bectance laisse aux organismes créés par la Turquie laïque, toutes décisions concernant la vie sociale du rabbinat. Les communautés roums et arméniennes ont refusé contre leur gré d’avoir des privilèges en raison d’attentes secrètes.
Selon le recensement, en 1927 il y a 81 872 Juifs en Turquie. Les Juifs vivent particulièrement à Hasköy, Beyoðlu, Þlis, Ortaköy, Kadiköy et Kuzguncuk. Durant les mois d’été on les rencontre sur les îles d’Istanbul. Les commerçants juifs, habitant auparavant dans le quartier de Balat, se sont installés aux environs de Galata dans les années 1935. La culture juive séfarade continue à se développer et les journaux en judéo-espagnol dont on a parlé précédemment, sont toujours publiés. L’intérêt que la nouvelle génération manifeste pour lire le turc et le fait qu’elle l’accepte comme langue maternelle, entraînent une diminution de ces journaux. Entre 1920 et 1930 des écoles primaires s’ouvrent à Balat, Galata, Hasköy, Haydarpaþa, Kuzguncuk et Ortaköy. A la place des écoles de l’Alliance fermées en 1915 un collège se crée à côté du lycée juif de Beyoðlu. Les Juifs soutiennent fermement les réformes laïques bien qu’il soit interdit aux populations turques et aux minorités de se promener en vêtement religieux.
En 1933 les Nazis arrivent au pouvoir en Allemagne. Les exactions commencent et entraînent le départ de nombreux juifs. Ainsi des centaines de Juifs et même des Européens non juifs émigrent vers la Turquie. Dans les années 1930, suite à la réforme de l’université, la Turquie, en plus des milliers d’autres immigrés, accepte dans les universités d’Istanbul et d’Ankara des professeurs d’origine juive. Parmi eux, Alfred Isaac (économiste), Alexander Rüstow (sociologue), Andréas Schwartz (juriste), Ernst Hirst (juriste de commerce international) et Paul Hindemith qui a joué un rôle important pour la création du conservatoire national d’Ankara, de mêmequeCarlElberthpourl’opéranationalturcet Dr. Ernst Praetorius pour l’orchestre philharmonique de la présidence de la république à Ankara. Parmi les arrivants il y a aussi des personnalités connues dans les domaines de la médecine, la physique et autres sciences.
La communauté allemande d’Istanbul, l’ambassadeur allemand, les commerçants et les espions allemands tentent d’attirer dans leurs rangs les groupes nationalistes chrétiens et le mouvement du panturquisme ; ils cherchent à désunir les Turcs et les Juifs. Ils veulent faire expulser ces derniers afin qu’ils tombent entre leurs mains. Le premier ministre de l’époque, Ismet Inönü, lors d’une intervention musclée à la Grande Assemblée Nationale de Turquie en 1937, critique l’antisémitisme. En réaction contre les comportements des Allemands, le Dr. Abrasax Marmara est choisi comme député indépendant à la GANT. Après 1938, les massacres des Juifs en Pologne, Hongrie et Roumanie sont largement critiqués dans Ulus, l’organe de presse du parti du peuple. Après un vote à l’assemblée, ceux qui désirent que l’émigration des Juifs cesse, essuient un refus. Celal Bayar alors premier ministre, explique : « Il n’y a pas de problème juif dans notre pays. Il n’y a pas de problème de minorités. Nous n’avons pas l’intention de créer une question juive artificielle suite aux pressions extérieures. Nous ne leur donnons pas la permission de nous influencer. » [45] La Turquie tient cette position durant toute la seconde guerre mondiale même si elle s’est trouvée nez à nez avec les Nazis lors de l’occupation de la Grèce. Sans doute comme bien d’autres, les Juifs sont mécontents de l’impôt sur la fortune mais ils continuent de vivre en Turquie avec confiance. Durant la guerre, l’arrivée des Juifs par la Thrace a perduré. Les ambassades et consulats turcs favorisent la fuite des Juifs qui subissent des pressions antisémites. Les associations juives d’Angleterre, Amérique et Afrique, grâce au soutien discret de la Turquie, peuvent aider leur communauté écrasée, via Istanbul. Par la suite, la majorité des Juifs nouveaux venus, émigre vers le nouvel état d’Israël. Les fonctionnaires de l’émigration sioniste jouent alors un rôle très important. Une partie de la communauté demeure en Turquie. Entre 1948 et 1965 plus de cinq mille Juifs repartent. Ceux qui vont en Israël, y constituent l’ « Union des Turcs » ainsi que « Morris, fondation des Juifs turcs » préoccupée de la protection de leur culture. Aujourd’hui une partie importante des Juifs émigrés de Turquie vit dans la région de Bat Ham à huit kilomètres à l’est de Tel-Aviv. On suppose qu’une partie, tout aussi importante, vit dans les pays occidentaux. Aujourd’hui vingt mille Juifs vivent à Istanbul, deux mille à Izmir. De plus petites communautés se trouvent à Adana, Ankara, Canakkale, Bursa et Kirklareli. Selon certains auteurs, il y aurait dix mille Turcs d’origine juive. Par ailleurs il y a quelques milliers de Juifs non enregistrés auprès du grand rabbinat ainsi que des communautés de dönme. En 1950 le parti démocrate arrivé au pouvoir, redonne de l’importance à l’éducation religieuse : Rafael David Saban est choisi comme grand rabbin en 1953. Il prend la suite de Becerano mort en 1931. David Saban, comme son prédécesseur, s’attache aux relations turco juives et célèbre, non pas l’émigration des Juifs d’Espagne mais le fait que Mehmed le conquérant en 1453 ait appelé sous sa protection les Juifs venus d’Europe centrale et d’Europe de l’est. En 1961 le rabbin David Asseo remplace Saban.
De nos jours les Juifs participent à la vie sociale et économique du pays dans des domaines importants. En raison de sa politique à l’égard de Chypre, la Turquie a une position neutre dans les relations entre Arabes et Israël. Elle ne fait pas de problème à Israël au Moyen-Orient. En 1991 les relations passent au niveau d’ambassades. La Fondation des 500 ans créée en 1989, travaille pour que soit commémorée l’émigration en 1492 des Juifs d’Espagne vers la Turquie.
[1] Stanford J. Shaw, The Jews of the Ottoman Empire and the Turkish Republic (London : Mac Millan, 1991), p. 25.
[2] L’Arbre de la Vie
[3] Andrinople
[4] Abraham Galante, Role Economique des Juifs d’Istanbul (Istanbul, 1942), p.7
[5] Millet : « La communauté confessionnelle, que l’on appelait millet à l’époque ottomane, est un phénomène sociologique complexe. Ce n’est pas une nation puisque, en général, la langue parlée et la culture sociale sont les mêmes pour les communautés présentes…. Mais elle remplace la nation comme source d’identité collective. La communauté… est avant tout une mémoire commune à un groupe qui la différencie notamment des autres. » Henry Laurens
[6] Shaw, P. 29
[7] Abraham Galante, Turcs et Juifs, Etude Historique, Politique (Istanbul, 1937)
[8] Abraham Galante, L’Histoire des Juifs d’Istanbul depuis la prise de cette ville en 1453, par Fatih Mehmed II jusqu’à nos jours (Istanbul, 1941-42), Tome 1, pages 123-24.
[9] Roderic H. Davison, « Turkish Attitudes Concerning Christian-Muslim Equality in the Nineteenth Century », Essays in Ottoman and Turkish History, 1774-1923 : The Impact of the West (Austin : University of Texas Press, 1990), pages 112-113
[10] Lord Kinross, The Ottoman Centuries : The Rise and Fall of the Turkish Empire (New York, 1977), p. 59
[11] Kinross, p. 114
[12] Réformes, mesures d’organisation
[13] du nom de la maison des roses du palais de Topkapi
[14] Resat Kaynar, Mustafa Resit Pasa ve Tanzimat (Ankara : Maison d’édition de l’Institut Turc d’Histoire, 1985), p. 205
[15] Frank E. Bailey, British Policy and the Turkish reform Movement : 1826-1853 (Cambridge, Mass., 1942), pages 270-280
[16] Enver Ziya Karal, Osmanli Tarihi V : Nizami Cedit ve Tanzimat Devirleri, (Ankara, 1947), p. 191
[17] Davison, p. 120
[18] Shaw, p.84
[19] Grecs de Turquie
[20] Galante, Turcs et Juifs d’Istanbul, p. 19-20. Ce livre contient les textes des firmans émis par le Sultan.
[21] Parcelle de terre attribuée temporairement. Le détenteur en a l’usufruit en échange de service de guerre.
[22] Système de « ramassage » de jeunes chrétiens, islamisés et turquifiés, appelés à devenir membres de l’armée ou de l’administration ottomane. Ils sont directement attachés au sultan
[23] Shaw, pages 109-111
[24] M. Essad, Du régime des Capitulations Ottomanes, Leur Caractère Juridique d’Après l’Histoire et les Textes (Istanbul, 1928), pages 13-20
[25] Convertis
[26] Brevet délivré par le sultan, spécifiant les fonctions et rétributions
[27] Galante, Documents Officiels Turcs concernant les Juifs de Turquie (Istanbul, 1931), pages 1-2
[28] Gouverneur de province. Mehmed ‘Alî Pacha fut gouverneur de la province d’Egypte
[29] Adjoint du grand vizir
[30] Naim Güleryüz, « Istanbul Italyan Musevi Cemaati » (La communauté italo-juive d’Istanbul), journal turco-juif Salom, 17.12.1986, Istanbul
[31] Ancien nom de Budapest
[32] Rue du quartier de Galata
[33] Shaw, p. 180
[34] Nesim Benbanaste, Örneklerle Türk Musevi Basininin Tarihçesi (Petite histoire de la presse tuco-juive, à partir d’exemples) (Istanbul, 1988), p. 19
[35] Benbanaste, pages 56-58
[36] Sur les attaques antisémites des Chrétiens dans l’Empire ottoman : S. J. Shaw, « Christan Anti-Semitism in the Ottoman Empire », Belleten, 1991 ; pour des informations plus générales : Bernard Lewis, Semites and Anti-Semites (New York, 1987)
[37] Amos Elon, Herzl (New York, Schocken Books, 1986), pages 315-360
[38] Shaw, p. 213
[39] David Fromkin, A Peace to End All Peace (New York, Avon Books, 1990), p. 277
[40] Pour plus d’informations sur ce jujet : Naim Güleryüz, « Kurtulus Savasinda Ege’de ve Bursa’da Yahudiler » (Les Juifs de Bursa et de la région Egée durant la Guerre de Libération), journal turco-juif Salom, 30 octobre 1985 ; Abraham Galante, Turcs et Juifs, pages 47-57.
[41] Galante, Turcs et Juifs, p. 54
[42] Galante, Turcs et Juifs, p. 83
[43] Terme désignant Mustafa Kemal. C’est un titre donné habituellement aux vainqueurs
[44] Galante, Turcs et Juifs, p. 84
[45] Journal Ulus, 27, 28 janvier 1938
[hr]