Le musée juif de Turquie ou le musée des Juifs turcs

Par  Naim Avigdor Güleryüz (vice-président de la Fondation du cinquième centenaire et Curateur du musée)

Istanbul, située sur deux continents, réunit – à travers le Bosphore – l’Europe et l’Asie et forme ainsi un pont entre les cultures de l’Orient et de l’Occident. Istanbul est en même temps la seule ville au monde ou mosquées, synagogues et églises se côtoient en harmonie et servent en sérénité et sans interruption depuis plus de cinq siècles. Récemment un nouvel anneau est venu s’ajouter à la vie culturelle de cette ville unique et sans pareille : le musée des Juifs turcs.

Ce musée, le premier et seul sur ce thème en Turquie, et probablement dans tout autre pays a majorité musulmane, a été inauguré dimanche le 25 novembre 2001. Il est établi dans l’ancienne synagogue Zulfaris, dans le district de Karakeuy (Karaköy), qui n’était plus en service depuis les années 1980. La bâtisse datant du début du XIXe siècle a été restaurée par la Fondation du cinquième centenaire (500.Yýl Vakfý). La réalisation de ce projet a été possible grâce à l’apport généreux de M. Jak Kamhi (président de la Fondation) et du travail persistant et méticuleux en recherches historiques par M. Naim Güleryüz (vice-président). Mme Amalia Lévi a été en charge du concept d’exposition et M. Sami Yanni de la collecte d’objets.

Le musée s’étend sur trois étages. Dans la cour d’entrée, un monument sculpté par mme Nadia Arditti à la mémoire des Juifs turcs tombés sur le champ d’honneur lors de la Première Guerre mondiale, de la bataille des Dardanelles et de la guerre d’Indépendance, accueille les visiteurs. Dans le salon principal et la Azara (galerie-balcon autrefois réservée aux dames lors des services religieux) on peut découvrir, dans des vitrines et sur des panneaux, l’historique de la communauté, la vie sereine des Juifs de Turquie le long des sept siècles (depuis 1326), leur participation et contribution à la vie collective du pays. L’étage inférieur, accommodé en pavillon ethnographique, dépeint les us et coutumes de cette communauté fortement influencée par la grande majorité musulmane.

L’histoire des communautés juives en Asie Mineure est largement antérieure à l’émigration des Juifs sépharades vers l’Empire ottoman. On a pu relever dans la région égéenne des traces d’habitations juives datant du IVe siècle av. JC. Des communautés se développèrent  durant l’ère byzantine, mais surtout après la conquête ottomane. En 1326, lorsque les Ottomans prirent Bursa et en firent leur capitale, le Sultan Orhan autorisa la construction de la synagogue Etz ha-Hayim (l’Arbre de la vie) qui resta en service continu jusque l’incendie de 1940.

Au cours des siècles suivants, lors de la conquête des Balkans, de nombreuses communautés juives se placèrent sous l’autorité ottomane qui reconnaissait les droits des autres religions monothéistes. Lorsque Mehmed le Conquérant conquis Istanbul (1453), il y trouva une communauté juive romaine, les Romaniotes, conduite par le rabbin Moshé Capsali.

Des le début du XVe siècle, les autorités ottomanes encouragèrent l’immigration juive et le rabbin Yitzhak Sarfati d’Edirne lança son fameux appel à ses coreligionnaires d’Europe Centrale : «  Fuir les tourments qui les poursuivent dans ces pays et venir trouver sécurité et prospérité dans l’Empire ottoman ».

En 1492, lorsque les Juifs furent chassés d’Espagne, puis du Portugal, le Sultan Bayezid II ordonna aux gouverneurs « de ne pas refuser aux Juifs le droit d’entrée ni de leur créer des difficultés, mais de les accueillir cordialement… ».

Au cours des trois siècles suivants, Istanbul, Izmir, Safed et Salonique devinrent les centres prospères de la communauté juive sépharade. La majorité des médecins de la cour étaient juifs. Les techniques encore récentes de l’imprimerie inventée en 1436, furent emportées d’Europe dans l’Empire ottoman par les Juifs : Déjà en 1493, un an seulement après leur expulsion d’Espagne, les frères David et Samuel ibn Nahmias installèrent à Istanbul la première presse à imprimer en caractères hébraïques. Nombreux furent les Juifs dans les services diplomatiques.

Le contexte libéral de l’Empire ottoman favorisa aussi l’essor de la littérature juive: Joseph Caro publia le Shulhan Arouh et Shlomo ha-Levi Alkabes composa le Lekhah Dodi, hymne pour l’accueil du Shabbat. Le rabbin Abraham ben Isaac Assa sera reconnu comme le père de la littérature judéo-espagnole.

La Grande Guerre entraîna la disparition de l’Empire. La république turque, fondée par Mustapha Kemal Atatürk, lui succéda en 1923. Le califat fut aboli et une constitution laïque adoptée.

Durant la Seconde Guerre mondiale, la Turquie réussit à s’en tenir à une attitude de neutralité. Déjà en 1935, alors que l’ombre du nazisme noircissait l’horizon en Europe, Atatürk invitait les savants allemands et autrichiens à fuir l’oppression et à venir s’installer en Turquie. Très nombreux furent ceux qui répondirent à cet appel, et contribuèrent au développement du système universitaire turc : médecine, droit, agriculture, philosophie, beaux-arts, musique, etc. Durant cette période, des diplomates turcs en fonction dans les pays occupés par les nazis s’efforcèrent par tous leurs moyens de sauver de la déportation et de la mort le plus grand nombre possible de Juifs que l’on pouvait considérer comme sujets turcs. L’un d’entre eux, Selahattin Ülkümen, consul général à Rhodes (1943-1944), qui sauva 42 Juifs d’une mort certaine, a été honoré par Yad Vashem (à Jérusalem) en juin 1960 comme « Hassid Umot ha’Olam » – Juste parmi les nations.

Aujourd’hui la communauté juive de Turquie compte environ 24.000 personnes, dont approximativement 21.000 à Istanbul, 2.500 à Izmir et le reste a Bursa, Ankara, Adana, Antakya et Çanakkale. Elle est une entité modeste au sein d’une population de presque 70 millions d’habitants, 99,5% de confession musulmane. Néanmoins, on trouve, comme au cours des siècles précédents, de nombreux Juifs parmi les professeurs aux universités, dans toutes les professions libérales, le journalisme, l’industrie et aux avant-postes de l’économie nationale.

Il y a à Istanbul 18 synagogues en service dont 3 seulement en saison estivale, une école juive, des oeuvres sociales dont un hôpital, un asile de vieux et un asile-abris. L’hebdomadaire Salom (Shalom), 12 à 16 pages, publié en turc avec une page en judéo-espagnol, a une diffusion d’environ 5.000 exemplaires, dont une partie à l’étranger.

Tous ces sujets, et d’autres, ont été traités dans le cadre restreint du musée, qui est ouvert de 10.00 à 16.00 heures du lundi au jeudi et de 10.00 à 14.00 heures vendredi et dimanche. Il est fermé le samedi et les jours des fêtes religieuses.

 

500.YIL VAKFI TÜRK MUSEVILERI MÜZESI. PERÇEMLI SOKAK. KARAKÖY ISTANBUL

Tel. (0212) 2926333-34. Télécopieur (0212) 2444474. e-mail : muze500@hotmail.com

www.muze500.com

 

 

 

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